Grâce à un dispositif municipal, nous avons bénéficié de plusieurs places pour aller voir le derby du Nord. 11 spartakistes s’étaient inscrits pour cette sortie prévue lors de la dernière Assemblée générale de l’association. J’ai eu la chance de bénéficier d’une des places pour aller voir ce match. Alors je m’attendais à une fête populaire et une émulation collective positive entre les supporters des deux camps, j’ai vite déchanté. La faute au foot ? Pas sûr !
Un avant match rythmé par les décisions politiques.
Un derby, c’est toujours particulier. L’ambiance entre les deux clubs monte plusieurs jours avant le match. Par déclarations interposées ou par diverses initiatives, les supporters tentent par tous les moyens de motiver au maximum leur propre équipe – ou de déstabiliser les adversaires. Pourtant, deux semaines après le match, je ne me souviens d’aucune des déclarations sportives d’avant match. Ce que je retiens des jours qui ont précédé la rencontre, ce n’est pas ce qui s’est joué sur le terrain sportif, mais plutôt la tension palpable autour du déplacement des lensois au Grand Stade. Par un arrêté publié quelques jours avant le derby, la préfecture du Nord interdit le regroupement des personnes « se prévalant de la qualité de supporters Lensois ou reconnues comme tels étant démunies de billet individuel aux abords du stade Pierre Mauroy de 10h à 18h, dans un périmètre allant de Villeneuve d’Ascq, Lille, Lezennes et Ronchin ». Se rendre au stade sera-t-il si dangereux ? Et si oui, quel est vraiment le danger ?
En ma qualité de supporter lensois ou reconnu comme tel, je peux potentiellement être sous le coup de cet arrêté. Je suis également stigmatisé comme le danger potentiel de l’après-midi. Autre mesure de l’arrêté, les supporters lensois voulant accéder au parcage (partie du stade réservée aux supporters adverses) devront se déplacer sous escorte policière depuis le parking du stade Bollaert. Les supporters de Lens n’étant pas des VIP, l’escorte doit donc signifier qu’ils sont tous des criminels avérés, ou présumés. Devant de telles mesures, l’ambiance devient forcément tendue. L’envie de se rendre au stade s’en trouve renforcée. Comme si brandir l’écharpe de Lens sera plus qu’un geste de soutien sportif. Et la suite me donnera raison…
« Range ton écharpe où on te balance avec eux »
Dimanche 3 mai, 13 heures. Je me rends au stade accompagné d’une grosse dizaine de Spartakistes pour assister à la rencontre. Une partie d’entre nous soutient le RC Lens. J’arrive donc au stade en affichant les couleurs de mon club. Dès la sortie du métro, l’ambiance est bon enfant. J’échange avec quelques supporters adverses, ça chambre et ça discute dans le respect. Arrivés à proximité du stade, la première invective arrive, mais elle ne vient pas d’un supporter. « Enlève ton écharpe si tu veux pas te faire taper ». Un premier CRS posté avant les grilles de l’enceinte sportive avertit tout les supporters lensois qu’ils faut cacher écharpes, maillots et drapeaux pour notre propre sécurité. Interrogatif (est-ce une blague de mauvais goût ?), je garde mon écharpe, mais je suis prévenu : « les collègues vous laisseront pas passer comme ça ».
Arrivés à quelques mètres des portes d’entrée du stade, un groupe de policier nous encercle rapidement. La demande est la même, il faut enlever tout signe distinctif « Sang et Or ». Selon eux, plusieurs supporters lillois sont retranchés dans le stade. « Ils sont bourrés et vous attendent à l’intérieur pour vous taper, à 10 contre 1 vous allez pas tenir. » Très vite, les conseils deviennent des menaces et l’agressivité policière se fait ressentir. Un des CRS me force à enlever « tout de suite » mon écharpe, sans quoi il m’emmène « dans le tas pour que je me fasse défoncer »… Belle argumentation de ceux qui sont censés veiller à garantir une ambiance pacifique. Hier, j’étais celui qui pouvait amener le danger, aujourd’hui je suis en danger et donc privé de la liberté de supporter mon club. Mais est-on au moins en sécurité ? Car si on s’en tient aux propos de la police, nous allons entrer dans un véritable guet-apens où chaque lillois sera une menace potentielle.
Division artificielle.
Les propos peu rassurants clivent encore un peu plus l’ambiance, déjà tendue. Certains qui n’ont pas l’habitude des matchs de foot sont clairement mal à l’aise. Comme si nous devrions être sur nos gardes et à considérer le moindre supporter lillois comme une menace. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’y a que des familles, des enfants, des jeunes spectacteurs. Finalement, les plus excités aux alentours semblent bien être en uniforme. A l’entrée dans le stade, tout est calme. Les violents supporters du LOSC ne sont que pure affabulation. Mes voisins de gradins semblent même trouver assez drôle d’avoir un groupe qui crie et qui chante pour les adversaires. Ils en viennent même à reprendre Les Corons ou quelques chants lancés directement depuis le parcage lensois (« Aux armes »…).
Le foot, formidable excuse pour justifier les privations de liberté !
Est-ce normal de priver de regroupement l’ensemble d’un groupe de personnes ? Est-ce normal de ne pas pouvoir se rendre dans un stade de foot avec l’écharpe de son choix ? Est-ce normal que des supporters doivent voyager sous escorte ? Est-ce normal de se faire menacer par un policier pour une simple interrogation sur l’injonction à enlever une écharpe ? Certains seraient tentés de répondre par l’affirmative à l’ensemble de ces questions, car derrière le foot se cacheraient des personnes violentes, immorales, des hooligans dangereux… Tout est fait pour conforter cette image d’un public à surveiller.
On peut citer pour exemple le saccage du restaurant l’Aspendos de Wazemmes intervenu la veille du match (une quarantaine de personnes sont entrées dans le restaurant pour tout détruire). Suite à cette attaque, les différents articles de presse n’auront retenu uniquement qu’un lien entre cet acte violent et le foot. La Voix du Nord titrera même « Le derby dérape déjà » La lecture de cet article, au scénario digne d’un film hollywoodien, permettra une nouvelle fois de conforter et légitimer les mesures liberticides à l’encontre des supporters par mesure de sécurité. Pourtant, au-delà du foot, aucun média ne fera mention du côté politique de cette attaque, commise au cœur d’un quartier populaire par des groupes identifiés d’extrême-droite proche des identitaires. S’il faut ficher et traquer des personnes, ce sont les militants d’extrême-droite qui font régner la violence dans les quartiers, pas les supporters de foot qui ne servent que de justification à toujours plus de privation de liberté. Quand on s’attaque à la liberté d’un groupe, c’est la liberté de toute la société qui est attaquée. C’est d’ailleurs ce qu’a du penser le conseil d’état qui vient de suspendre le « fichier stade » du PSG, construit pour ficher les supporters gênant pour la politique de la nouvelle direction du club.
Pour plus d’infos, le dossier de Regards – Les supporters de football, cobayes du fichage et de la surveillance généralisée : http://www.regards.fr/web/article/les-supporters-de-football-cobayes